Hier, sur la route du retour des vacances, j’ai vu passer un
tweet qui citait Victor Hugo : « Faire rire, c’est faire oublier.
Quel bienfaiteur sur la terre, qu’un distributeur d’oubli ! »
Je n’avais rien d’autre à faire que co-piloter pendant 700
km, ce qui m’a laissé bien le temps de réfléchir à cette citation, à ce qu’elle
implique. Victor Hugo devait certainement penser aux chagrins et aux douleurs
qu’il aurait aimé oublier. Mais les joies, les bons moments, les souvenirs
heureux ? Aux oubliettes aussi ?
Souvent, je pense avec effroi aux malades d’Alzheimer et à
tous ceux qui perdent la mémoire. Pour moi, si je pouvais choisir, je
préfèrerais un cancer. Vraiment. De quoi vivent-ils, ces hommes et ces femmes
qui oublient tout ? Qu’est-ce qui nourrit leurs journées ? Comment se
consolent-ils des petites – et des grosses – gifles de la vie ? À quoi
rêvent-ils en s’endormant ? Qu’est-ce qui les réchauffe les matins
d’hiver ?
Je ne suis pas très vieille, mais il
y a déjà tellement de choses que je ne veux surtout pas oublier…
J’ai 5 ans et je fais
semblant de dormir dans la voiture qui nous ramène du restaurant, pour que mon
père me porte dans ses bras jusqu’à mon lit.
Ma mère me confectionne un petit
cheval en peluche, pour me consoler de la maladie qui m’a empêchée d’aller à la
piscine avec mon frère.
La saveur inimitable du pâté
vietnamien qu’on dégustait à Noël chez mon grand-père, et que le plus fin des
foies gras n’égalera jamais.
Mon père qui m’apprend à nager.
Les batailles de bouses de vache
avec mon frère (on était petits, hein, mais qu’est-ce qu’on a rigolé ce
jour-là !)
Les moules et les coquillages
ramassés dans les rochers bretons avec mon frère, et mangés crus, accroupis dans
le sable mouillé.
Les messes de minuit avec crèche
vivante, les chants d’église.
Découvrir que savoir lire était
une porte ouverte sur l’univers.
L’ocarina d’Albator.
Georges Brassens et Jacques Brel.
Scorpions, mon premier concert.
Ma première cigarette, dans le
jardin du presbytère dont les grands avaient volé la clé, où j’ai réussi à ne
pas tousser ni vomir devant les autres.
Mon premier walkman.
Les baisers volés.
Les mains frôlées.
L’océan, sous mes pieds.
Les corps morts en hiver.
La Bretagne.
Les petits déjeuners irlandais.
La chaleur sèche du Maroc.
La chaleur humide de la
Guadeloupe.
La montagne, la neige fraîche, les
pistes noires et les champs de bosses dont j’ai triomphé.
Les apéros avec Marie-Marie.
Faire du VTT dans les bois.
Le château de Chambord.
Le bonheur sauvage d’un test de
grossesse positif.
La joie animale de la naissance de
chacun de mes enfants.
Les fous-rires partagés.
Le point final de mon premier
roman.
Aragorn et Arwen.
Through the Never en 3D.
Réussir un créneau avec un
monospace.
Ouvrir un ordinateur et améliorer
ses performances.
Vibrer.
Vraiment, quand le moment viendra,
je préfère me regarder mourir que perdre ce trésor, et tous les joyaux qui vont
encore s’y ajouter.
Je pourrais écrire un livre entier sur la mémoire, et surtout sur ceux qui oublient, il y en a tant dans ma vie : un grand père mort en ayant tout oublié, coquille vide et si triste, mon père, qui végète dans une maison de retraite, le cerveau bouffé par une maladie neuro dégénérative... et puis il y a cette vieille cousine atteinte d'alzheimer, et, aussi incroyable que cela puisse paraitre, elle est gaie, elle rit, elle est heureuse. Lui rendre visite fut comme une bouffée d'air frais dans cette purée de pois qu'est ma vie. Alors oublier, se souvenir ? telle est la question...
RépondreSupprimerMerci pour ton commentaire :)
RépondreSupprimerTu as raison, et il y a aussi plein de gens qui préfèrent oublier. Alors ce serait bien si la vie pouvait servir à chacun ce qui est le mieux pour lui... (mais si la vie était juste, ça se saurait)
Sophie