dimanche 29 décembre 2013

Ne pas oublier...



Hier, sur la route du retour des vacances, j’ai vu passer un tweet qui citait Victor Hugo : « Faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre, qu’un distributeur d’oubli ! »
Je n’avais rien d’autre à faire que co-piloter pendant 700 km, ce qui m’a laissé bien le temps de réfléchir à cette citation, à ce qu’elle implique. Victor Hugo devait certainement penser aux chagrins et aux douleurs qu’il aurait aimé oublier. Mais les joies, les bons moments, les souvenirs heureux ? Aux oubliettes aussi ?
Souvent, je pense avec effroi aux malades d’Alzheimer et à tous ceux qui perdent la mémoire. Pour moi, si je pouvais choisir, je préfèrerais un cancer. Vraiment. De quoi vivent-ils, ces hommes et ces femmes qui oublient tout ? Qu’est-ce qui nourrit leurs journées ? Comment se consolent-ils des petites – et des grosses – gifles de la vie ? À quoi rêvent-ils en s’endormant ? Qu’est-ce qui les réchauffe les matins d’hiver ?
Je ne suis pas très vieille, mais il y a déjà tellement de choses que je ne veux surtout pas oublier…
J’ai 5 ans et je fais semblant de dormir dans la voiture qui nous ramène du restaurant, pour que mon père me porte dans ses bras jusqu’à mon lit.
Ma mère me confectionne un petit cheval en peluche, pour me consoler de la maladie qui m’a empêchée d’aller à la piscine avec mon frère.
La saveur inimitable du pâté vietnamien qu’on dégustait à Noël chez mon grand-père, et que le plus fin des foies gras n’égalera jamais.
Mon père qui m’apprend à nager.
Les batailles de bouses de vache avec mon frère (on était petits, hein, mais qu’est-ce qu’on a rigolé ce jour-là !)
Les moules et les coquillages ramassés dans les rochers bretons avec mon frère, et mangés crus, accroupis dans le sable mouillé.
Les messes de minuit avec crèche vivante, les chants d’église.
Découvrir que savoir lire était une porte ouverte sur l’univers.
L’ocarina d’Albator.
Georges Brassens et Jacques Brel.
Scorpions, mon premier concert.
Ma première cigarette, dans le jardin du presbytère dont les grands avaient volé la clé, où j’ai réussi à ne pas tousser ni vomir devant les autres.
Mon premier walkman.
Les baisers volés.
Les mains frôlées.
L’océan, sous mes pieds.
Les corps morts en hiver.
La Bretagne.
Les petits déjeuners irlandais.
La chaleur sèche du Maroc.
La chaleur humide de la Guadeloupe.
La montagne, la neige fraîche, les pistes noires et les champs de bosses dont j’ai triomphé.
Les apéros avec Marie-Marie.
Faire du VTT dans les bois.
Le château de Chambord.
Le bonheur sauvage d’un test de grossesse positif.
La joie animale de la naissance de chacun de mes enfants.
Les fous-rires partagés.
Le point final de mon premier roman.
Aragorn et Arwen.
Through the Never en 3D.
Réussir un créneau avec un monospace.
Ouvrir un ordinateur et améliorer ses performances.
Vibrer.

Vraiment, quand le moment viendra, je préfère me regarder mourir que perdre ce trésor, et tous les joyaux qui vont encore s’y ajouter.


2 commentaires:

  1. Je pourrais écrire un livre entier sur la mémoire, et surtout sur ceux qui oublient, il y en a tant dans ma vie : un grand père mort en ayant tout oublié, coquille vide et si triste, mon père, qui végète dans une maison de retraite, le cerveau bouffé par une maladie neuro dégénérative... et puis il y a cette vieille cousine atteinte d'alzheimer, et, aussi incroyable que cela puisse paraitre, elle est gaie, elle rit, elle est heureuse. Lui rendre visite fut comme une bouffée d'air frais dans cette purée de pois qu'est ma vie. Alors oublier, se souvenir ? telle est la question...

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  2. Merci pour ton commentaire :)
    Tu as raison, et il y a aussi plein de gens qui préfèrent oublier. Alors ce serait bien si la vie pouvait servir à chacun ce qui est le mieux pour lui... (mais si la vie était juste, ça se saurait)

    Sophie

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