Les dimanches où tu te réveilles avant l’aube chez des amis « normaux », qui font la grasse matinée jusqu’à 11 h. Tu n’oses pas faire un bruit, tu pourrais tuer pour un café mais il y a des gens qui dorment partout, la cafetière serait trop bruyante et d’ailleurs, tu ne sais même pas où la chercher.
Tu te résignes à une toilette de chat, la plus discrète possible, tu attrapes délicatement ton manteau en vérifiant qu’il contient le minimum vital, carte bleue, clés de voiture, téléphone, tu saisis tes chaussures entre deux doigts et sors, déterminé à aller boire un vrai café avant de te promener tranquille, faire un peu les boutiques de cette ville inconnue, profiter de quelques heures de liberté.
Sauf que… c’est dimanche. Une fois passé le plaisir de prendre une grande respiration et/ou d’allumer une cigarette, tu cherches du regard un bistrot ouvert. Tu comprends vite que ça va être moins simple que fantasmé. Tu décides de remonter la rue dans un sens, il fait froid, tu ne croises personne, tu as l’impression d’être encore dans cet appartement endormi, pas de passants, pas de voitures, tu te sens encore plus exilé dans ce monde qui t’appartient puisque tu t’es levé tôt, mais dont personne ne te dispute la propriété.
À mesure que tu marches et passes devant des boutiques closes, ton rêve de shopping prend du plomb dans l’aile. Après un kilomètre, tu révises tes critères de choix : un troquet accueillant, plein de gens souriants bavardant avec animation devant un petit déjeuner idéal, tartines, croissants et café chaud, tu sens que tu vas avoir du mal à trouver.
Tu renonces, encore, et pousses la porte d’un boui-boui bien sombre, où deux-trois habitués descendent leurs premiers ballons de blanc en silence. Tes derniers lambeaux d’illusions s’évaporent tandis que tu t’assois sur une chaise inconfortable, devant une table à la propreté douteuse, et commandes le grand crème qui doit t’aider à reprendre contact avec la réalité.
Le mugissement du percolateur te redonne espoir. Tu accueilles la tasse fumante qui concentre toutes tes ambitions de ce matin désolant. Tu bois à petites gorgées, faire durer, il n’est pas encore 8 h. Tu déprimes doucement à l’idée que tu es tellement marginal, tu traînes jusqu’à ce que le reste de ton breuvage salvateur, refroidi et amer, ne te tente même plus.
Tu paies, sors, le vent d’hiver te gifle et t’interdit d’aller simplement te poser sur un banc pour regarder la ville s’éveiller. Tu erres pour faire semblant de te réchauffer, tu as des envies de militer pour que tous les magasins soient ouverts le dimanche. Tu espères te perdre pour passer le temps. Tu achètes un magazine chez un buraliste grincheux, tu aimerais faire ça, comme métier, buraliste, pour avoir quelque chose à faire le dimanche matin.
Finalement, tu reviens sur tes pas, tu as l’impression que ça fait des siècles que tu es parti, tu achètes du pain frais et des viennoiseries, pour justifier ton errance, te faire pardonner ta différence, tu sais que même si tu t’étais soûlé la veille, tu serais là tout pareil, avec la migraine en prime.
Lorsque tu réintègres l’appartement de tes amis, tout le monde dort encore. Tu t’enfermes dans la salle de bains, t’assois sur le tapis contre le radiateur et feuillettes ton magazine sans conviction, en recommençant à rêver d’un café. Et tu attends.
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