Juste à côté de mon bureau, j’ai déjà raconté ici, il y a un
espace, une sorte de courte impasse, à peine la taille d’un camion. Quand
personne n’y est garé, c’est la photo ci-dessus : un genre de bout de
terrain vague, avec un vieux transat en plastique.
Le 15 août dernier, un jeudi, je travaillais (pour
changer). Je suis arrivée tôt, toute la zone industrielle était endormie pour
ce long week-end, je la traversai triomphalement, comme si l’espace entier
m’appartenait, vous connaissez mon côté mégalo. Mais en entrant sur le parking
de mon bureau, bim, un camion portugais garé. Je grinçai des dents, faut pas empiéter
sur mon espace vital de si bon matin, je me sentais un peu envahie, parce que
je ne m’y attendais pas. Forcément, je relativisai rapidement, le camion était
en dehors de mon parking, et son occupant n’allait évidemment pas venir me
casser les pieds jusqu’au premier étage. En plus, le jour se levait à peine, le
rideau de la cabine était tiré, j’étais tout de même obligée de reconnaître que
ce voisin n’avait rien de gênant.
Je m’installai donc à mon poste et me mis au travail. Très
vite, le soleil tapant fort et mon thermomètre indiquant 26°, j’ouvris une
fenêtre, celle qui donnait directement sur le camion. Une grosse journée
m’attendait, je la rythmais de pauses régulières, me félicitant intérieurement
de ma progression, histoire de me motiver.
Vers le milieu de la matinée, j’entendis du bruit dehors,
puis, assez vite, des éclats de voix. N’écoutant que mon courage, je jetai un
œil, prête à redescendre fermer la porte à clé au cas où. En fait, l’occupant
du camion n’était pas seul, il y avait une femme avec lui. Mon imagination
débordante commençait déjà à échafauder toutes sortes d’hypothèses plus saugrenues
les unes que les autres sur les raisons qui pouvaient amener un camionneur
portugais à venir s’engueuler avec une femme au cœur de la campagne française, par un
15 août brûlant. Mais j’étais bien certaine que puisqu’ils étaient réveillés,
ils allaient reprendre la route bientôt.
Que nenni ! Un peu avant midi, nouveau coup d’œil, ils
étaient toujours là, avaient allumé un réchaud, et été rejoints par un petit
garçon d’environ 5 ans. Je froissai et jetai à la corbeille mes premières
suppositions pour recommencer à inventer, à partir de cette nouvelle donnée. L’homme
avait fait miroiter à sa famille un week-end prolongé en France, et son épouse
était déçue de se retrouver ici, à camper dans une zone industrielle déserte…
Notre après-midi s’est passée comme ça, la chaleur épaisse
déchirée par des disputes régulières, des rires d’enfant, et moi qui passais en
boucle l’Ave Maria No Morro de Scorpions, parce que j’adore ce morceau, qu’il
me paraissait de circonstance, pour célébrer à distance la double fête de
Marie-Marie, et dans le vague espoir que cette chanson brésilienne apaiserait
les esprits de cette étonnante famille…
Et le lendemain matin, ils étaient partis, laissant le vieux
transat derrière eux, pour une prochaine fois, le prochain camionneur en repos loin
de chez lui… Ils me léguaient aussi, sans s’en douter sûrement, des dizaines de
scénarios possibles, une distraction qui me ravit chaque fois que j’y repense.
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