Elle est belle.
- Elle est belle, hein ?
Sa voix est sublime, son énergie envoûtante. Elle chante de
toute son âme, comme en riant. Elle s’amuse, danse à travers toute la scène,
son plaisir est tangible. Et à chaque passage près du violoniste, ses yeux le
caressent longuement, mutins. Elle l’aime à la face du public avec une
indécence magnifique.
Même les gros VIP du premier rang sont enfin bouche bée.
- Ce concept de VIP, c’est une insulte aux artistes !
- Chut...
Ma voisine me sourit de cet air qui dit « Tu es en train de faire exactement ce que tu
leur reproches ». Je me renfrogne, elle a raison. Je hais cette Jet
Set de festival de province qui n’apprécie d’être aussi proche de la scène que
parce qu’on va l’y voir. Pour le reste, ils s’ennuient ferme, n’ont pas même regardé
le programme, se sont juste enquis du nom du traiteur qui préparerait les amuse-bouches. Pour commenter avec une
moue que c’est dommage, celui de la dernière fois était meilleur. Et pendant le
concert, ils parlent entre eux, fort pour couvrir la musique qui les gêne, de
leurs Affaires pour que nul n’en ignore, exhibition obscène de ce qu’ils
prennent pour leur réussite. Si la chanteuse n’était pas si radieuse, ils s’en
foutraient qu’elle aime son violoniste d’une telle passion.
Mais elle arpente l’estrade comme si le monde était sien,
avec la grâce résolue de Lara Croft, sans manquer une seule note, ses longues
jambes la ramenant sans cesse à son amant comme sans y penser. Et lui, aussi
concentré qu’elle paraît dilettante, ne lui rend qu’un regard sur dix, répond
moins encore à ses sourires enflammés. Alors qu’elle lui donne tout, sans thésauriser,
que son plaisir d’être là, de chanter pour lui déferle jusqu’au dernier rang,
lui est à son concert. Par instants pourtant, il lui retourne sa joie d’être
là, accompagne sa danse du regard et de l’archet. Alors elle rayonne, ajoute
encore du rire et du bonheur dans les mots qu’elle égrène, brûlante.
- Ça se voit, hein, qu’il n’est pas aussi amoureux qu’elle ?
Elle va pas le garder.
- Tu es aigrie, un peu, toi, non ?
Oui, sûrement.
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