C’est lui que nous remarquons en premier, parce qu’on ne se
refait pas, que sa beauté classique de baroudeur nous attire l’œil. Regard
bleu-gris que nous rêvons lavé par des embruns de bout du monde, visage tanné
par des vents d’ailleurs dont nous ignorons le nom, cheveu court, bien sûr
gris, il pourrait tout aussi bien être affiché dans la vitrine du magasin de
marine de l’autre côté de la place au lieu de se rouler une cigarette à la
terrasse de ce bistrot.
Notre conversation languit doucement tandis que chacune jette
de fréquents coups d’œil à la table voisine. N’importe, nous avions terminé de
nous déshabiller des soucis de travail, de la pression parisienne, des
mauvaises notes des enfants. Nous entrons en vacances comme en religion, avec
un ravissement tranquille et léger. Contempler cet homme et ce que nous lui
prêtons d’aventure sera notre premier plaisir partagé.
Et puis elle arrive et nous découvrons, saisies, le sens de
l’expression « faits l’un pour l’autre ». De ma place je la vois de
profil, longue et athlétique avec dans les gestes un mélange de grâce et de
précision. Ses mains bronzées, ses ongles courts, évoquent des activités à l’air
libre, rochers ou cordages fermement empoignés.
Elle a la tête légèrement penchée en avant, attentive à la
cigarette qui se forme entre ses doigts. Un léger pli entre la joue et la
bouche dit son âge.
Elle s’est assise à côté de lui, pas en face. Il lui parle,
elle répond sans lever les yeux, ils rient ensemble sans se regarder, ils sont
un, se ressemblent et se complètent.
Et lorsqu’ils se lèvent d’un mouvement presque identique en
échangeant un dernier mot, nul baiser, à peine une main posée sur un
avant-bras, un sourire, comme s’ils étaient au-delà de la tendresse
démonstrative que les spectatrices avides que nous sommes espèrent, avant de s’éloigner
l’un de l’autre, presque à l’opposé.
Juste avant qu’ils soient assez loin pour que l’un d’eux
quitte notre champ de vision, chacun se retourne vers l’autre avec un même
geste de la main, exactement au même instant.
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