dimanche 1 juillet 2018

L'autre



Claire. On s’est rencontrées à la gym où, même suant sur son step, elle gardait le sourire, des mèches blondes collées dans son cou délicat. Elle m’a fait penser à la chanson de Johnny « à la voir on devine des enfants coiffés, un homme, l’odeur du café ». Je n’aurais sans doute jamais eu l’idée de lui parler, moi « salie des fumées de mes nuits », m’appliquant à refaire le monde au rhum au point d’oublier ce qu’il fallait y changer, et elle, tellement dans le monde qu’elle savait toujours l’heure qu’il était, à la minute près. Son univers était à des années-lumière du mien et bien sûr, je l’enviais.

Bien sûr, elle portait une alliance, qui brillait à mes yeux comme l’Anneau unique. Elle, on l’avait épousée. Et moi je jouais au renard incapable de décrocher les raisins, au loup efflanqué rétorquant « très peu pour moi » au chien bien dorloté et bien nourri, préférant par-dessus tout m’envoyer des hommes mariés, parce que c’était tellement plus facile de croire que c’est pour ça, qu’ils ne s’attachaient pas, mais je l’enviais. 

Parfois la nuit – quand je dormais, plutôt, c’était rarement la nuit – mes rêves de gosse me revenaient, robe immaculée, longue traîne et diadème, au bras d’un Prince charmant doux et attentionné. Mais les rêves des petites filles sont solubles dans le rhum.

Et puis Claire avait un humour vif et grinçant qui m’a prise par surprise. Sans que je m’en rende compte, on se marrait toutes les deux sous la douche. Après, elle se remaquillait d’une main, se recoiffait de l’autre et « filait » récupérer ses gamins, m’envoyant un baiser du bout des doigts alors que j’en étais encore à finir de me sécher, pince à épiler prête à l’action, j’avais rendez-vous avec toi, j’aurais bien aimé que tu t’attaches, au moins un peu.

Un jour, on s’est croisées dans un magasin de lingerie. Quand elle m’a vue, elle apiqué un fard qui l’a rendue encore plus jolie.
- C’est pour faire une surprise à mon mari…
Tout était dit. J’ai trouvé ça naze, de se transformer en objet sexuel pour un mari. Je l’ai aidée à choisir un ensemble qui faisait bien pute. En espérant que ce con allait apprécier. Et je n’ai rien acheté pour moi, tu me trouverais à poil sous ma robe, ça irait très bien.

Je crois que le jour où elle est arrivée en retard, les yeux en coquilles de noix, j’ai compris. Je l’ai emmenée boire un verre, mon remède à tout, à la place de la douche. Je suis même arrivée trop tard à notre petit hôtel, tu étais déjà reparti, parce qu’elle pleurait tellement que je ne pouvais pas la laisser. On a planté des aiguilles vaudou dans son bonhomme jusqu’à ce qu’elle retrouve un sourire tremblant. J’éprouvais une amère jubilation à constater, CQFD, que le mariage est un piège dans lequel j’avais bien fait de ne pas me laisser entraîner. Comme si qui que ce soit avait jamais tenté de le faire. 

Une part de moi a su, quand elle m’a dit l’âge de vos mômes. Le jour où elle avait super le temps parce qu’eux étaient en vacances et que lui travaillait tard, alors que moi, justement, j’avais la soirée de prévue avec toi. Mais la partie consciente de mon cerveau n’a rien voulu reconnaître. Parce que ton ventre dur, tes mains insolentes, l’odeur de ta peau, ton sperme que j’aimais boire à grandes gorgées. 

J’ai continué plusieurs semaines à lui tenir la main, à échafauder des plans de reconquête de cet abruti les jours d’espérance, des projets de divorce fracassant les jours d’échec, tous étaient des jours de peine. Et à me vautrer dans tes bras les soirs de fête, dans d’autres mains quand tu n’étais pas libre. Tous étaient des soirs de rhum.

Je crois que je lui ai même donné des conseils qui la faisaient rougir, je savais si bien ce que tu aimes. Je sciais une branche, sans vouloir regarder qui était assis dessus.

Mais hier, elle m’a montré la photo de votre mariage, robe immaculée, longue traîne et diadème, rayonnante à ton bras. Ça me fait mal au bide, mais quand tu arriveras, je ne serai pas là. Tu peux garder la bouteille, je m’en suis acheté quelques-unes.

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