De tous les sujets (un tantinet polémiques) qui me tiennent
à cœur, le coup du Père Noël est sans doute le plus actuel.
J’aurais volontiers écrit un billet bien vitriolé, mais il
se trouve qu’un tas de gens que j’aime ne partagent pas mon opinion sur cette
question. Sans aller jusqu’à dire « ils ne peuvent tout de même pas tous
se tromper », j’essaie de penser que c’est un peu comme la religion, « à
chacun selon ses convictions ».
Mais. Quand même. En cette saison, c’est plus fort que moi,
il faut que je fasse ma profession de foi, en espérant secrètement susciter
de nouvelles vocations.
Je n’ai jamais cru au Père Noël et il ne m’est jamais venu à
l’esprit de faire croire à mes enfants que le Père Noël existe.
J’ai grandi dans une famille catholique pratiquante (d’ailleurs
j’ai longtemps pensé que l’Enfant Jésus était le pendant chrétien du jovial
bonhomme rouge, mais en fait non). Pour moi, comme pour les autres gamins, Noël
était une fête merveilleuse, pleine d’effervescence, de cantiques, de
chuchotements, de paix royale que nous fichaient les adultes, trop occupés à
faire la cuisine, se retrouver après des mois sans se voir, se disputer,
craindre d’être en retard pour la messe…
Dans ma famille, qui était nombreuse, chacun avait une
enveloppe à son nom, qu’il décorait lui-même à son goût, et dans laquelle il
glissait, quelque temps avant Noël ou tout au long de l’année, chaque fois qu’une
idée lui venait, de petits papiers décrivant les cadeaux qu’il aurait aimé
recevoir, un papier par idée. Pour offrir un présent à quelqu’un, on choisissait
dans son enveloppe une idée qui nous convenait et l’on retirait le papier afin
que personne d’autre ne choisisse la même chose. Il était bien sûr interdit de
regarder ce qu’il restait dans son enveloppe, car cela aurait permis de déduire
ce qu’on allait trouver dans ses chaussons, ç’aurait été de la triche.
Plus nous grandissions, plus nous apprenions à placer dans
notre enveloppe des idées de cadeaux de petit prix ou faciles à réaliser, pour
que les plus jeunes enfants puissent participer. C’est-à-dire qu’une enfant de
six ans qui trouvait dans une enveloppe « Un joli collier de macaroni »
avait la joie immense de pouvoir fabriquer le collier, de peindre les nouilles
(note : je sais que les nouilles ne sont pas des macaroni et
ne peuvent pas se mettre en collier, c’est pour éviter la répétition.) de
débourser quelques centimes pour acheter un fermoir et, ultime plaisir, d’assister
au ravissement de la personne à l’ouverture du paquet le jour de Noël.
Les parents le savent, les enfants aiment donner,
spontanément. Tout petits, ils offrent des têtes de pâquerettes et de
pissenlit, des bouts de ficelle ramassés, n’importe quoi. Et Noël était pour
nous la possibilité de donner, de suivre à grande échelle ce mouvement naturel
d’offrir pour faire plaisir aux autres.
J’entends parfois des partisans du « croire au Père
Noël » avancer que cela donne de la magie et du merveilleux à cette fête.
Les Noëls de mon enfance étaient magiques et merveilleux, par la réunion de
tous les cousins et d’amis de la famille que nous rencontrions rarement, par le
formidable esprit de partage qui occupait l’espace. Nous arrivions les uns
après les autres chez mes grands-parents, avec bien souvent quelques paquets
non encore emballés, voire cadeaux presque terminés, qu’il fallait cacher
stratégiquement aux personnes à qui nous allions les offrir, et la maison était
déjà tellement pleine de monde que la peur de tomber justement sur la tante ou le
cousin à qui notre présent était destiné participait pleinement de la magie de
Noël, avec l’angoisse joyeuse d’être aperçu. Dans toutes les chambres, des
ateliers « emballage de dernière minute » s’organisaient, et il
fallait choisir avec soin ses acolytes. Il n’était pas rare que l’on doive
changer d’équipe selon ce que nous avions à emballer. Et quel ravissement
lorsqu’on nous refoulait sèchement sur le seuil d’une porte, « ah non, pas
toi ! », parce que nous comprenions aussitôt qu’il y avait là, dans
cette chambre, quelque chose pour nous !
Ces préparatifs fiévreux étaient menés en chaussettes,
puisque toutes les chaussures étaient alignées dans le salon, chacun venant y déposer
avec une feinte discrétion ce qu’il offrait aux uns ou aux autres. Les adultes
comme les enfants ne pouvaient s’empêcher de surveiller du coin de l’œil leurs
propres souliers et le tas qui s’y accumulait.
Venait enfin le clou de la journée, où nous étions tous
installés autour d’une montagne de cadeaux (nous étions vraiment une famille
nombreuse !). Un enfant était désigné pour piocher les paquets, il devait
savoir lire sur l’étiquette le nom de la personne à qui il était destiné ainsi
que celui du donateur. Il remettait alors le cadeau à son destinataire et
poursuivait sa ronde, n’aimant rien tant que saisir ses propres offrandes pour
les distribuer fièrement et le cœur battant (est-ce que cela va lui plaire ?
le paquet est-il assez joli ?).
Le brouhaha s’amplifiait, nourri de remerciements, d’embrassades,
d’exclamations d’admiration et de joie et du bruit des jouets que l’on mettait
immédiatement en service. La consigne de déballer proprement les paquets pour
récupérer les emballages (pas de gaspillage !) était assez bien respectée
et un grand sac se remplissait, qui irait rejoindre le cagibi jusqu’à l’année
suivante.
Voilà ce que je voulais raconter, qu’il n’est pas nécessaire
d’inventer une histoire farfelue et incroyable (qui a à mes yeux l’inconvénient
rédhibitoire de nécessiter d’avoir un jour à dire à ses enfants « en fait,
on t’a menti ») pour que Noël soit une fête pleine de magie et un grand
moment de partage !
Sur ce, je vous souhaite à tous un très bon Noël, j’ai
encore quelques paquets à emballer mais j’attends un moment tranquille…