dimanche 14 juillet 2013

Tranche de vie (1)

Je travaille tard ce soir, seule au bureau, seule dans toute la zone d'activité je crois bien. Le jour prend une teinte à la fois plus sourde et plus aiguë. J'adore ces moments où j'ai l'impression que le monde m'appartient, tôt le matin ou tard le soir.

Lorsque je descends fumer une cigarette, je reçois le coucher du soleil en pleine figure en ouvrant la porte. C'est un instant exceptionnel, que je vis rarement. J'en profite. Ma vie est compliquée en ce moment, sur tous les plans. Je dors très peu et mal, je travaille énormément, je ne prends même pas le temps de lire mes e-mails personnels. Mais ce soir je suis sereine, je sais que je vais réussir à terminer le travail pour lequel je suis encore ici, c'est une satisfaction profonde.

Et en effet, je termine, une poignée de minutes avant 22h. J'éteins tout, pense à activer l'alarme, donne deux tours de clé, je savoure la tiédeur de la soirée, j'anticipe le plaisir de dormir bientôt.

Juste à l'extérieur du parking de l'entreprise où est installé mon bureau, un grand camion s'est garé. J'aperçois le chauffeur installé pour dîner dans sa cabine, une bouteille d'eau à la main. Je monte en voiture, passe devant lui, rentre enfin chez moi.

Après une courte (trop courte) nuit, je suis à nouveau là, sur le parking un peu avant 7h. Le camion est toujours garé, rideaux tirés, le chauffeur doit dormir encore. Je m'installe, attaque cette journée qui promet d'être aussi chaude que la veille malgré la brise frisquette qui souffle ce matin.

Première pause, je suis encore seule mais je sens l'activité qui s'approche dans l'air, les entreprises alentours commencent à ouvrir, le trafic de la zone s'est intensifié.

Le camion n'a pas encore bougé, mais le chauffeur est à son poste. Je le regarde, et j'ai la chance de saisir cet instant inoubliable où il trace un signe de croix, puis démarre et s'éloigne doucement, entamant lui aussi une nouvelle journée.

Ce ne sont que des instants, des chemins à peine croisés, mais l'atmosphère est tellement étrange, à la fois calme et porteuse d'une détermination sans faille, que je la perçois comme un court-métrage à la Lelouch. Drôles de vies. Qui est cet homme, bien loin de chez lui d'après la plaque d'immatriculation de son camion ? Est-ce qu'il dort ainsi tous les soirs, dans sa cabine aménagée, au fond d'une zone industrielle désertée pour la nuit ? Est-ce qu'il recharge son portable sur son autoradio pendant qu'il roule, pour pouvoir appeler sa famille lorsqu'il fait étape ? Est-il sur le chemin du retour ? Peut-être dormira-t-il chez lui ce soir. Il doit en voir, des gens comme moi, décalés.

J'avais envie de partager ces moments particuliers, et je ne suis hélas pas cinéaste. Une photo ne capturerait pas l'ambiance unique de ce soir et de ce matin. Alors je les ai écrits dans ma tête, en pensant qu'il y avait tout juste là de la matière pour un billet de blog. Voilà.

4 commentaires:

  1. C'est vrai que regarder la vie s'éveiller à potron-minet est un plaisir pour les yeux, mais aussi pour le nez (café torréfié, pains et brioches en cours de cuisson, ...) ;-)

    JP

    RépondreSupprimer
  2. Moi aussi j'ai travaillé tard ce soir, et juste avant d'éteindre l'ordinateur, j'ai frappé à ton blog, et j'ai été témoin littéraire du témoignage vécu, du moment saisi dans sa magique simplicité. Merci

    RépondreSupprimer
  3. @JP Oui, tu as raison, c'est ce qu'on sent en ville. Dans ma campagne en ce moment, c'est plutôt des odeurs de foin encore humide de la nuit. Et des levers de soleil rouge, pour les yeux.

    @Alix Merci à toi :)

    Sophie

    RépondreSupprimer
  4. Sympa cette soirée du 14 juillet loin des feux d'artifice et des bals populaires.

    RépondreSupprimer